dimanche 9 juin 2024

Stalactite Palace / La suivante (2024)


Une discussion eut lieu au début du XXe siècle entre plusieurs exégètes de l’allégorie platonicienne de la caverne, les uns voyant dans le jeu des images projetées sur la roche un spectacle de marionnettes « tout à fait semblable à notre Guignol » , les autres croyant lire dans le récit la description d’un ancien théâtre d’ombres . Cette littéralité matérialiste peut sembler naïve ou réductrice. Mais les professeurs, voulant faire œuvre de science, ont aussi multiplié les images. À la caverne décrite par le philosophe et comprise comme séjour illusoire – aussi présente dans un fragment d’Empédocle qui décrit les âmes humaines comme prisonnières d’un antre caché – ils ont ajouté plus de théâtre qu’il n’y en avait déjà, cherchant à clarifier, en la compliquant parfois, la nature des personnages qui auraient été agités devant ou derrière les regardeurs, tenus à bout de bras ou de ficelles, projetant artificiellement leurs ombres sur un écran de tissu. Théâtre d’ombres javanais ou indien ? Peu importe, dirais-je, avant de déplacer à mon tour l’image, pour faire de cette représentation de la conscience trompée celle du souvenir.  Choisissons-donc des deux hypothèses la plus compliquée, celle où l’illusion est la plus profonde et l’image la plus médiatisée, où la chose que l’on perçoit est la plus éloignée des sens, soit celle du théâtre d’ombres. Faisons des images sans corps projetées sur l’écran de l’antre antique, par l’hypothèse de Jean Przyluski en 1937, tout ce qui reste en nous de ce qui a été : les ombres d’images que l’on ne peut plus voir, et dont une force inconnue, marionnettiste de nos propres souvenirs, agite désespérément en nous-mêmes les silhouettes incolores. Faisons de ces ombres ce qui reste des choses dans notre mémoire. Comme les silhouettes privées de sang qui survivent dans l’Hadès, celles-ci ne peuvent être saisies, et encore moins étreintes. Elles n’en sont pas moins tout ce qui anime la vie intérieure et lui évite de se réduire à une cavité désertique. 

Apollodore d'Athènes écrivait : « Les montagnes, les vallons, les grottes sont des lieux remplis d'échos. Des échos mimétiques se forment à partir des voix diverses et multiformes que font entendre dans les montagnes les chasseurs, les animaux domestiques et sauvages. C'est pourquoi, souvent, les hommes qui ne voient pas les corps de ceux qui parlent mais entendent seulement la voix qui surgit, disent que Pan et les nymphes chantent dans les antres . » L’écho, avec l’ombre, constitue une autre forme de présence – à la fois sensible et fantomatique – de ce qui est absent, soit une autre forme du souvenir. Combien de temps l’écho d’une voix disparue peut-elle résonner après qu’elle s’est tue ? Quel rapport entre sa tonalité originelle et ce qu’elle devient, reprise par les parois minérales ? Les « échos mimétiques » dont parle Apollodore d’Athènes, traduit par Jacoby, cité par Lavagne, sont des voix dont on ne sait plus à qui elles appartiennent. La grotte, caisse de résonance ou bouche d’ombre, semble alors parler d’elle-même. Outre les ombres et les échos, d’autres présences approximatives peuplent les antres antiques : ainsi des mannequins et automates costumés, présents dans un certain nombre de mises en scène rituelles. Exhibés lors de cérémonies dionysiaques ayant cours dans l’Égypte ptolémaïque, ces mannequins déguisés « ne renvoient pas à des pièces de théâtre particulières, mais au dieu du théâtre que leur présence est censée symboliser. Leur valeur est avant tout emblématique».

Dans la vie silencieuse et secrète des grottes, avant même qu’y résonne un quelconque écho ou qu’y soit agitées des effigies de quelque sorte, on trouve en fait, déjà, une image du processus mémoriel : ce qui ruisselle et semble voué à l'informe – l’eau, le contact chaotique avec la réalité, le flux de la perception – soit tout ce qui s’y dépose lentement et imperceptiblement pour y prendre forme. En quelques endroits, cela donne naissance à des architectures imprévues, accumulations ou conglomérats de matière minérale : des souvenirs. Ce qui reste devient pierre, persiste, s’incruste et se fige. L’eau qui ne cesse de ruisseler, de goutter et glisser le long des parois anime la pierre, fait miroiter ce qui autrement resterait immobile. La minéralité statique et le mouvement du vivant se confondent. Ailleurs l’eau stagne dans des flaques ou bassins, gardant pour un temps sans doute trop long ce qui aurait dû s’écouler – mais où ? puisque l’immobilité caractéristique du lieu l’interdit. Tout est repos, dépôt, gisement, et pourtant tout, très lentement, concourt à un travail de transformation. On se tromperait en voulant accumuler dans une telle caverne les souvenirs comme des bijoux dans un coffre-fort, c’est-à-dire en cherchant à les fabriquer volontairement pour mieux les collectionner, ainsi que le veulent certains arguments de vente contemporains, faisant de l’expérience une usine à souvenirs, pensée sur le mode productiviste : « prix en baisse, souvenirs garantis ». Les tendances actuelles à la thésaurisation du vécu rappellent, à première vue, l’ambition accumulatrice des arts de la mémoire nés dans l’Antiquité et encore vivaces, sous des formes nouvelles, à la Renaissance, grâce auxquels des « cavernes intérieures » se remplissaient à ras bord de savoirs et de mots. Giulio Camillo disait de son « théâtre de mémoire », synthèse du savoir universel organisée en une série de petites boîtes selon une logique longuement méditée et tout imprégnée de philosophie occulte, que c’était « un esprit ou une âme construite » . Aujourd’hui ce sont seulement, sentimentalement et combien naïvement, les « bons moments » que nous ambitionnons d’entasser en nous-mêmes, comme dans une cave à vin où ils continueraient à se bonifier pour l’éternité. Ces gigantesques entrepôts mémoriels en quoi nous rêvons de nous transformer sont loin d’être aussi bien ordonnés que les architectures intérieures des arts de la mémoire. Tandis que celles-ci étaient précisément structurées par le besoin futur d’employer ce que l’on y déposait, organisées selon l’usage que l’on ne manquerait pas d’en faire et parfois même animées par l’ambition d’une connaissance universelle, nos esprits ressemblent plutôt, à l’image de nos modes de production et de consommation, à de gigantesques stocks d’invendus, énormes entassements chaotiques d’objets qui, n’existant pour rien ni personne, ne seront plus jamais utilisés. Ainsi du souvenir produit volontairement, souvenir qui n’est pas vraiment le nôtre, finalement produit en pure perte et sans doute aussitôt oublié, par opposition à l’ancien objet de mémoire accumulé par les rhétoriciens et leurs successeurs, objet dont on avait, d’une part, l’honnêteté de reconnaître le caractère conventionnel et impersonnel, et dont l’on savait, d’autre part, en vue de quel usage futur on le mettait ainsi de côté. Rien à voir donc entre ces artifices hautement maîtrisés et notre pathologie mémorielle qui entasse et finit par détruire sans trop savoir pourquoi, sinon qu’il est bon, selon les préceptes en vigueur, de produire au cours d’une vie une quantité maximale de « moments mémorables » définis selon certains critères précis comme autant de tableaux que l’on accrocherait au mur. Cela alors que les souvenirs fondateurs, ceux qui constituent des axes ou des pôles de notre vie intérieure, sont évidemment élus par une mécanique inéluctablement mystérieuse, à proportion qu’elle est involontaire. On peut se souvenir de ce dont on aura voulu se souvenir, mais l’on s’en souviendra moins bien, ou du moins différemment, que de certains détails apparemment anodins restant étonnamment vivaces après des décennies : une phrase que l’on nous a dite alors que l’on était très petit, une heure passée assis par terre en un certain endroit, un regard échangé pour une seule seconde, un visage aperçu dans un bus et jamais revu. Que dire encore de ce que l’on a vécu et qui a été d’autant plus important que nous l’avons oublié : ainsi de cette ancienne scène que raconte une tante qui y a assisté, et dont tous les éléments nous sont étrangement familiers, mais sans que l’on se rappelle pourtant l’avoir vécue. Les cheveux caressés, peignés au travers des doigts, durant ce qui semblait des heures. Étrangeté aussi des souvenirs exhumés sur des bandes vidéos, de la voix retrouvée qui ne correspond en rien à celle que l’on gardait en soi. Se produit un choc entre le souvenir maturé, à la fois implanté et déformé durant des années en soi-même, et la prétendue objectivité de l’archive, intacte depuis le moment où elle fut prélevée pour se détacher de la réalité. Chacun a poursuivi son chemin indépendamment de l’autre, et c’est comme retrouver quelqu’un perdu de vue il y a très longtemps et qui dit nous connaître et même avoir été notre grand ami : alors, on doit refabriquer un souvenir. 

Les « vastes palais » de la mémoire, avec ses « salles immenses » et sa « vaste cour » font d’elle, comme le dit Saint-Augustin, « un lieu plus intérieur, qui n’est pas un lieu »  . Dans les Confessions, il écrit : « Voici, dans les plaines, dans les grottes, dans les cavernes incalculables de ma mémoire, pleines à un point incalculable d’un nombre incalculable de sortes de choses, les unes présentes en tant qu’images, comme tous les corps ; les autres en elles-mêmes, comme les arts ; les autres au moyen de certaines notions et d’impressions, comme les sentiments de l’esprit, que la mémoire retient, même quand l’esprit ne le sent pas, bien que tout ce qui se trouve dans la mémoire se trouve également dans l’esprit – à travers toutes ces choses, je cours, je vole ; je plonge ici et là, aussi profondément que je peux, et je ne trouve jamais de limite. » S’adressant à Dieu, Augustin encore : « Tu as fait à ma mémoire l’honneur d’y résider, mais dans quelle zone y résides-Tu ? Voilà ce que je me demande. Car, pensant à Toi, j’ai laissé les zones où se trouvent les bêtes, car je ne pouvais pas te trouver au milieu des images des choses corporelles ; je suis parvenu aux zones auxquelles j’ai confié les sentiments de mon esprit, et je ne T’y ai pas trouvé. Je suis entré dans le siège même de mon esprit… Tu n’y étais pas non plus… Pourquoi chercher davantage en quel lieu Tu habites ? Comme s’il y avait là des lieux… De lieu, il n’y en a pas, nous avançons, nous reculons et il n’y a pas de lieu…  » La grotte est l’une des formes que peut prendre cette absence de lieu. On n’y est plus nulle part, encore moins en soi-même. Elle est le caisson d’un instrument de musique dont le joueur resterait invisible. Comme l’écrit un historien : « Dans la grotte, l’homme se trouve privé de son individualité et échappe à l’histoire. L’histoire elle-même s’y fait simple expression de la vie et de la mort, de l’union et de la destruction », « Utérus ou athanor, la grotte évoque aussi bien l’existence prénatale dans le ventre de la mère que le bain de la conjunctio au sein du four alchimique, avatar de la Mère Nature . » Elle est à la fois non-lieu et lieu absolu, c’est-à-dire, espace de métamorphose. Les anciennes grottes chamaniques, oraculaires ou mystiques, étaient de fait des lieux d’extase et de rencontre avec le divin. Elles constituaient des passages vers d’autres dimensions du réel et permettaient d’accéder aux plus hautes formes de connaissance, celles d’une lucidité issue des ténèbres. 

Jérôme Cardan, De Subtilitate : « Les matieres métalliques, les metaus et les pierres vivent. Car les matieres qui ont maturité, acerbité et vieillesse, elles ont aussi une vie. […] Les vraies pierres souffrent la mort, par quoi elles ont vie. Car ches moi la pierre d’Hercules, dite aimant, en Latin magnes, en peu de temps est perie : et quelque tems attirante vivement le fer, apres par succession de tems elle ne l’a plus attiré. Or, qu’est-ce autre chose que la vie, sinon l’operation de l’ame ? […] Toute operation est du vivant et en tant qu’il vit, que la force et vertu est seulement par acte aus vivants, il est necessaire que les pierres qui ont force aient ame . »

Certaines grottes antiques abritant des sources s’appelaient des nymphées : sanctuaires des nymphes. Elles étaient aussi désignées par le mot de musée, ici pris au sens propre : temple, sanctuaire des muses, antre obscur où celles-ci venaient s’ébattre. Nymphée et musée se confondent pendant un certain temps. « "On dit, suivant une ancienne tradition, que quiconque voit émerger une apparition d’une source, c’est-à-dire l’image d’une Nymphe, délire ; les Grecs qualifient de nympholeptous ceux que les Latins appellent lymphaticos". Le délire suscité par les Nymphes naît donc de l’eau et d’un corps qui émerge, de même que l’image mentale affleure du continuum de la conscience » Plus bas, Roberto Calasso note encore que « Porphyre écrit qu’Apollon reçut des Nymphes le don des « eaux mentales ». Nymphe serait alors le nom crypté de la matière mentale qui fait agir et qui subit l’envoûtement . » Et Musée, le nom du lieu d’un délire. Dans les grottes artificielles du XVIe siècle, le processus de pétrification est mis en scène. Les « coulures pétrifiées » sont sélectionnées dans des cavernes naturelles puis importées dans ces lieux artificiels où, tout en étant toutefois soigneusement intégrées au décor, les formations minérales sont exposées comme des œuvres d’art dans un espace qui se rapproche alors de la galerie de stalactites haut-de-gamme. Musées, les grottes artificielles de la Renaissance ne le sont plus en ce qu’elles ont cessé d’être des lieux de culte païens ; mais elles se rapprochent déjà, par certains aspects, de ce que l’on n’appelle pas encore un musée au sens moderne. Elles accueillent une multitude d’œuvres d’art, parmi lesquelles automates, statues et peintures. Certains les rapprochent d’ailleurs du genre des Wunderkammern ou cabinets de curiosités, qui leur sont contemporains. Ce sont des œuvres composites, ornées de pierres spongieuses, d’éléments rustiques, de coquillages, mais aussi de jeux d’eau, d’automates, de sculptures et de peintures. On y voit des « angelots porteurs de tritons perchés sur une balustrade, près de satyres porteurs d’urnes » . Ces fausses grottes sont des installations qui imitent quelque chose qui n’est pas à proprement parler figurable. Elles donnent forme à une dynamique ; elles constituent un espace abstrait, presque une démonstration – philosophique ou technique. Elles participent de la « sensibilité métamorphique » de la Renaissance, c’est-à-dire qu’elles consistent en une exposition du processus de production : « L’art donne à voir le processus qui l’a suscité ; s’il décrit le monde, il représente aussi la représentation. Il s’élabore comme un évènement en cours de réalisation . »  Bien que les grottes maniéristes opèrent une sorte de première muséification de la nature, elles restent des lieux animés, des espaces en mouvement. L’un des grands enjeux de la conception des grottes artificielles du XVIe siècle est de leur donner l’apparence de la vie et plus précisément de la « nature naturante », de faire d’elles le lieu de ce que l’on a appelé « la théâtralisation de l’alchimie de la nature » .

Bernard Palissy, rêvant dans le Devis d’une grotte pour la Royne Mere à une grotte qu’il ne réalisera jamais, décrit ainsi sa construction imaginaire : il y aurait « un nombre infini de bosses et de concavitez, lesquelles bosses et concavitez seroient enrichies de certaines mousses et de plusieurs espèces d’herbes », avec aussi des serpents, vipères, coquillages, tortues, le tout « aorné et enrichi d’un nombre infini de grenoilles », de poissons sculptés et éclaboussés par des « pissures d’eau » qui leur donnent l’apparence de la vie. « Et, quant aux termes qui seront assis sur ce rochier des fontaines, il y en auroit un qui seroit comme une vieille estatue mangée de l’ayr, ou dissoulte à cause des gelées, pour démonstrer plus grande antiquité. »

Il existe aussi un lien très ancien entre les grottes et l’architecture théâtrale. Elles ont pu constituer des décors de spectacle, et l’on observe, de façon générale, des ressemblances entre les codes architecturaux des théâtres et ceux des grottes artificielles antiques.  Elles obéissent d’ailleurs, pour certaines, à de véritables lois de construction dramaturgique. La grotte rustique du jardin de Boboli, construite par Bernardo Buontalenti, est par exemple constituée de trois salles en enfilade, qui dessinent un parcours narratif. Certains procédés communs à l’art du théâtre et du jardin s’y retrouvent, comme celui de provoquer alternativement le plaisir et l’effroi. Le parcours à l’intérieur est structuré comme un processus d’élévation de l’âme, de sorte que « la dernière salle offre une sorte d’epopteia, la vision mystique concédée aux seuls initiés » . Si l’on veut bien suivre l’hypothèse métaphorique voulant que les grottes figurent, dans leurs diverses formes, plusieurs aspects de la dynamique mémorielle, alors on peut considérer que les « scherzi d’acqua » ou « jeux d’eau » disposés dans les grottes artificielles sont à l’image d’automatismes mémoriels : il suffit d’appuyer sur une dalle (laquelle, on ne saurait justement le dire) pour se trouver trempé, entre les jambes ou au visage. Dans un cas comme dans l’autre, le mécanisme est invisible à celui qui en fait les frais et qui, du coup, s’en trouve d’autant plus stupéfait. Ces jeux d’eau font sursauter ceux dont ils rafraîchissent soudainement le sexe, les joues ou le crâne : émoi érotique, larmes, sensation immédiate du déluge comme fin ou recommencement du monde. Un auteur les appelle des « surprises hydrauliques ». Mais il y a aussi ce que l’on pourrait appeler des surprises figuratives ou des images-surprises : une statue pivotante nous fait soudain face, visage connu ou inconnu, vision subreptice, fantôme à la fois pétrifié et mobile. « Ici, en tournant une clef, des statues de nymphes sont tirées hors de la grotte par la force de l’eau, puis rentrent à nouveau comme si elles étaient vivantes, l’eau restant invisible . » Pour Bernard Palissy, les matières lapidaires « en leur première essence sont liquides, fluides et aqueuses ». Contre les alchimistes de son temps, il oppose le primat de l’eau à celui du feu : le fondement de toute opération créatrice n’est pas pour lui la flamme destructrice mais la coulée aqueuse. Il écrit dans La Recepte Véritable que la pluie engrosserait elle-même la terre selon le procédé suivant : « Quelque temps après que les herbes dudit champ ont esté pourries, et qu’il aura demeuré long temps sans pleuvoir, il viendra quelque temps après, qu’il fera une certaine pluye, qui prendra le sel de la terre et des herbes, qui avoyent été pourries dans le champ ; et ainsi que l’eau courra le long du seillon du champ, elle trouvera quelque trou de taupe, ou de souris, ou autre animal, et l’eau ayant entré dedans le trou, le sel qu’elle aura amené, prendra de la terre et de l’eau ce qu’il luy en faut, et selon la grosseur du trou et de la matière, il se congelera une pierre. ». Georgius Agricola écrit quant à lui que l’eau serait porteuse d’une « humeur congélative », « à la fois cause matérielle et cause efficiente de la pétrification ». Il parle d’un « sugo congelato » ou d’un « sugo atto a diventare pietra », soit un « suc » ou une « substance apte à devenir de la pierre ». Celle-ci « goutte des commissures, des fibres ou des veines au sein des cavernes ; elle durcit et devient pierre avant d’être tombée à terre c’est ainsi que ces gouttes restent suspendues. […] il arrive aussi que les gouttes deviennent pierre après avoir été distillées et être tombées à terre » . La « substance apte à devenir de la pierre » est une eau plus épaisse, mélange de « quelque chose de sec avec quelque chose d’humide », dont la couleur et la texture dépendent de la sorte de matière sèche qu’elle contient. Cette substance à la fois aqueuse et minérale est la substance du souvenir : une eau capable de pétrification ou une pierre capable de liquéfaction. Substance tout à la fois informe et mobile, courante, impalpable même, elle devient, pour qui a laissé passer beaucoup de temps, dure à s’y briser le crâne.